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Aaron Ross

C'est d'une légère œillade circulaire que je remarque l'attention qu'on me porte. De multiples personnes vrillent sur moi un regard effaré et désapprobateur, leurs froncements de sourcils incessants leur donnant un air totalement incongru. D'autres se contentent de presser le pas, les yeux roulant dans leurs orbites pour éviter de croiser mes iris aussi  noirs et menaçants que l'abysse. Était-ce réellement mon regard qu'ils évitaient ? Ou bien seulement mes gestes brutaux et animaux, qui se déchaînaient sur le corps presque inerte d'un trentenaire attrapé au vol. Ce qui aurait dû m'étonner, mais qui ne m'étonnait plus, c'était leur peur flagrante. Aucun ne venait secourir le pauvre homme ensanglanté à mes pieds, qui gémissait et sanglotait, face contre terre. L'être humain est ignoble, sournois et néfaste. L'injustice règne en maître, a revendiqué cette place depuis bien longtemps, tant que cela semble maintenant légitime. Et personne ne réagit.

Un sanglot reporte mon attention sur l'homme dont j'agrippe toujours le col, prosterné à mes pieds. Ses supplications ne réveille aucun frissons de compassion dans mon cœur de pierre, je me contente de lui jeter un regard indifférent avant de me redresser, essuyer nonchalamment mes mains sur mon jeans, et tourner les talons.

Je n'ai pas toujours été si cynique et désabusé, indifférent. Fût une époque où ma naïveté dressait un voile entre mon regard et le monde extérieur, bien que cette séquence de ma vie soit très certainement l'origine de tout le bordel qu'est devenu mon quotidien...

Ce fût emmitouflé dans un plaid, posé à l'entrée d'un hôpital qu'on le trouva. Il dormait à poings fermés lorsque ses géniteurs l'y ont déposés, ont glissé un doux baiser sur son front, puis se sont effacés. De l'entrée de l'hôpital, comme de sa vie. Aaron Ross fut abandonné alors qu'il n'était âgé que de deux mois. Et comme si ce n'était pas encore assez merdique comme début de vie, il eut d'énorme difficulté à s'intégrer dans une famille... Ce qui fut que les esquisses de son enfance valsèrent entre différentes familles d'accueil, sans jamais se poser.

Il n'a jamais su pourquoi il était tant rejeté, pourquoi la vie était si injuste. Était-ce son tempérament trop colérique et capricieux ? Sa violence exacerbée, ses sautes d'humeur incessants ? Son incapacité à lier quelque chose sur le long terme ? Il ne sait pas, mais toujours fut-il qu'il se retrouvait encore à l'orphelinat alors qu'il était âgé de huit ans. Peut-être aurait-il été mieux pour lui de ne pas être là-bas, ce fameux jour... Le jour où son regard croisa les iris froids de Freya von Korff, femme de Nikolai von Korff et mère de deux progénitures arrogantes et agaçantes.

Aaron eut immédiatement un dégoût certain pour ces gens habillés avec des tissus de qualité, portant fièrement des bijoux en or qui tranchaient avec la blancheur de leur peau. Le petit bout d'homme qu'il était déglutit lorsque la famille s'immobilisa devant lui, l'observant comme une bête de foire. Ses petits poings se crispèrent sur la voiture en plastique qu'il tenait alors qu'Aaron basculait la tête en arrière pour harponner de son regard haineux les pupilles de celle qui semblait contrôler ce petit monde. Freya von Korff était impressionnante, elle avait une présence certaine, qui intimida un instant le petit garçon de huit ans qu'il était, alors que cette dernière le détaillait d'un regard qui se voulait plus intéressé que réellement compatissant ou doux. Sa nuque le tiraillait au fur et à mesure que les secondes s'écoulaient, ses jambes pliées sous lui tressautant sous l'envie de déguerpir. Heureusement, la dame ne tarda pas à rompre le contact visuel et continuer sa route, entraînant dans son sillage ses deux monstres sautillants et son mari soumis. Tout cela n'avait duré que quelques secondes, mais ça lui avait semblé durer une éternité.

Aaron décontracta ses muscles et, après avoir verifié qu'il n'y avait trace de ces gens, reprit son occupation. Il ne se doutait pas que ces gens allaient prendre une place importante dans son passé, son présent et son futur...

Cela faisait plus d'une semaine qu'Aaron résidait chez les Korff et il avait bien comprit qu'il ne serait jamais considéré comme le fils légitime de Freya et Nikolai. Autant par eux que par leur entourage Tous l'observaient dès qu'il avait le dos tourné, stoppaient le conversation lorsqu'il arrivait, chuchotaient lorsqu'il détournait le regard... Non, il n'était décidément pas aimé. Il n'en avait pas envie, de toute façon, car lui non plus ne les aimait pas. Il n'avait jamais réussi à aimer quelqu'un sur le long terme, de toute façon, et il ne comptait pas essayer.

Un soir, alors qu'il lisait un des livres trouvés sous son lit - un thriller soit-disant d'horreur -, Hannah, la benjamine de la famille von Korff, débarqua en hurlant dans sa chambre, faisant se fracasser la porte sur le mur. Elle sauta sur le lit et, face à l'indifférence flagrante d'Aaron à son égard, attrapa le livre qu'il tenait entre les mains et l'envoya valser de l'autre côté de la pièce.

Le jeune garçon, agaçé et nerveux suite à ses multiples efforts pour contenir sa violence, attrapa la benjamine par les cheveux, plaqua une main sur sa bouche avant d'envoyer sa tête se fracasser sur le coin de la table de chevet. Il n'eut pas à l'empêcher de crier, car elle ne le fit jamais. Elle se contenta de glisser hors du lit, son regard vitreux fixant le vide alors qu'elle expirait pour la dernière fois.

Aaron est un tueur à gage de vingt-huit ans comptant sur sa force et sa ruse. C'est un psychopathe. Non pas le psychopathe dépeint à la télévision, celui qui est tueur en série et cannibale... Non,  il est juste un homme dépourvu d'empathie. L'amour et l'attachement ? Il ne connaît pas. Approchez-le, vous comprendrez les mots manipulation, fascination et relation malsaine. À vous de donner votre définition à cette dernière appellation.. Si vous ne trouvez pas, ne vous inquiétez pas, il se chargera de vous le faire comprendre. À vos risques et périls...

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